Samedi 23 novembre 2019

  • 50 ANS DE « ANIMA UNA »

Excellence Mgr ….

Révérendes Mères, Révérendes Sœurs des différents Instituts d’Anima Una,

Chers confrères dans le sacerdoce,

Chers frères et sœurs dans le Christ,

Nous voici rassemblés aujourd’hui, avec joie et reconnaissance, pour célébrer ici à Cotonou le jubilé d’or d’Anima Una, véritable initiative prophétique, créée en 1969 par nos pères et mères dans la foi. Sous l’inspiration de l’Esprit, ils ont voulu rassembler dans une même communion les Instituts religieux locaux des pays francophones de notre sous-région. Le but de cette communion est de témoigner de l’unité de la vie religieuse par la coopération fraternelle des Supérieures Majeures des Congrégations membres et la recherche d’une réponse aux attentes des Eglises d’Afrique.

Vous venez de nous en rappeler l’historique, en évoquant notamment tant de noms glorieux d’évêques et de supérieures majeures qui furent les pionniers de cette œuvre que nous admirons aujourd’hui.

Mais nous avons bien conscience que le principal pionnier, c’est le Seigneur lui-même. Voilà pourquoi cette célébration se veut d’abord et avant tout reconnaissance au Seigneur, pour cette œuvre qu’il accomplit depuis maintenant 50 années. Qu’Il lui plaise encore aujourd’hui de susciter des femmes et des hommes de vision, capables de s’engager et de rassembler, pour servir la cause de l’Évangile.

En écoutant les témoignages que vous donnez au sujet des pionniers de cette œuvre, on peut retenir trois qualités majeures qui les ont caractérisés : leur sens de responsabilité ecclésiale, leur pensée commune pour une approche solidaire des questions relatives aux Églises d’Afrique, et leur vision prophétique de l’engagement de la vie religieuse sur le continent. On eût dit qu’ils avaient perçu bien longtemps à l’avance cet appel lancé à l’Afrique par le Pape Benoît XVI : « l’engagement de l’Afrique pour le Seigneur Jésus-Christ est un trésor précieux que je confie, en ce début de troisième millénaire, aux évêques, aux prêtres, aux diacres permanents, aux personnes consacrées, aux catéchistes et aux laïcs de ce chers continent »[1].

Personnellement, en tant que pasteur d’un diocèse qui s’honore d’abriter un certain nombre d’Instituts religieux locaux, je trouve dans la présente célébration l’occasion d’exprimer mon désir de voir encore aujourd’hui beaucoup de femmes et d’hommes de cette trempe de s’engager pour une Église d’Afrique qui refuse d’être un wagon, mais devient plutôt locomotive, pour apporter sa part spécifique à l’œuvre de l’Église universelle et en communion avec elle. Et je suis venu ce matin vous dire que votre jubilé doit être l’occasion de vous engager pour une telle œuvre.

D’ailleurs, le contexte actuel de vos Instituts ne vous laisse pas le choix. En effet, par la grâce de Dieu, les membres de nos Instituts locaux deviennent de plus en plus nombreux, donnant visibilité et vitalité à ces jeunes Instituts. Mais la croissance de l’effectif tout en étant incontestablement une chance, peut donner lieu à des appréhensions. Car avec le grand nombre, l’espace de contre-témoignage s’élargit sensiblement, dans un monde de plus en plus suspicieux et plus que jamais exigeant, voire intransigeant vis-à-vis du témoignage de sainteté attendu des consacrés.

Dans un tel contexte, se mettre ensemble pour relever les défis communs, notamment en formant des consacrés davantage attachés à la radicalité de leurs engagements religieux n’est pas seulement une nécessité : c’est une urgence absolue.

Alors, comment faire de nos Instituts de véritables moteurs propulseurs pour un plus grand engagement de l’Afrique dans le témoignage à rendre au Christ ? A partir des textes liturgiques de ce jour, je voudrais vous indiquer trois points majeurs qui constituent des repères clés.

Le premier repère, c’est la conscience du don total et intégral de soi au Seigneur. Nous le savons : la consécration religieuse est par essence don de soi au Seigneur. Mais ce don est parfois biaisé et falsifié s’il n’est pas total, s’il n’implique pas une radicale dépendance vis-à-vis du Seigneur. C’est précisément la radicalité de cette dépendance qui est exprimée par la profession des trois conseils évangéliques de chasteté, pauvreté, et obéissance. Ces trois vœux ne sont pas simplement de l’ordre de la discipline ; ils constituent plutôt un chemin de décentrement de soi-même, en vue d’un attachement plus radical au Seigneur, comme les fils de la résurrection pour qui Dieu est l’unique nécessaire.

En ce sens, la page d’évangile que nous venons d’écouter nous présente une belle figure des fils de la résurrection : « ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection ». De cette image future, le consacré est appelé à être un signe réel dès maintenant.

C’est dire que par votre consécration religieuse vous êtes pour nos sociétés un rappel constant de ce monde futur qui nous attend. Le concile Vatican II affirme à ce sujet que « la recherche de la charité parfaite par les conseils évangéliques (…) apparaît comme un signe éclatant du Royaume des cieux »[2]. Mais comment cela serait-il possible, si notre vie supposée donnée à Dieu était encore l’objet de marchandage et de discussions de notre part ? Qui croira en ce Royaume futur, si celles et ceux qui en sont les signes vivent comme tous les fils de cette terre ?

En ce sens, la mission prophétique d’Anima Una doit se manifester de façon plus forte en ces temps qui sont les nôtres, afin de donner une réaction conséquente aux dangers internes et externes qui menacent la crédibilité du témoignage attendu de nous. Car, au moment même où l’engagement de l’Afrique est vivement attendu pour une nouvelle floraison de la vie religieuse, le danger du laxisme et du relativisme, sournois et pernicieux est déjà là à nos portes, pour ne pas dire dans nos rangs, avec ses effets démobilisateurs. Plutôt que d’encourager la radicalité dans le don de soi à Dieu et les exigences y afférentes, des voix discordantes et trompeuses tentent d’atténuer dans l’esprit des consacrés eux-mêmes la conscience du don total de leur vie à Dieu.

Ne nous y trompons pas : le serpent d’Eden, menteur et trompeur, rampe déjà dans nos rangs, entreprenant de semer le doute sur la nécessité d’un don de soi radical. Il nous revient de débusquer ce serpent d’Eden afin de l’expulser promptement et sans autre forme de procès. Car, comme le disait saint Paul, les fondations, nul ne peut en poser d’autres que celle qui existe déjà : Jésus-Christ[3]. De même, la manière d’être un consacré, nul ne peut en inventer d’autre, décrétant lui-même les éléments de son style religieux. Ce serait une forfaiture inacceptable. En conséquence, le retour aux fondamentaux de la vie religieuse est absolument nécessaire. C’est là le deuxième repère que je désire vous indiquer.

Le deuxième point majeur donc, c’est la nécessité de garder le Seigneur au centre de toute notre vie. Quand Dieu est au centre de notre vie, tout est en équilibre. « La croix tient bien, tandis que le monde tourne »[4]: Cette devise des chartreux peut être partagée par tout consacré. Par contre, l’homme qui ne met pas Dieu au centre de sa vie ressemble au bétail qu’on abat, comme le dit le psalmiste.

En ce sens, la première lecture nous présente la fin triste et tragique d’un homme à qui tout avait apparemment réussi durant sa vie : il avait accumulé beaucoup de richesses et s’était considéré comme un maître absolu. Malheureusement il avait été assez fou pour ne pas mettre Dieu au centre de sa vie. Au soir de son existence, il n’avait que le regret du mal commis et du bien omis. Telle fut la triste fin du roi Antiocos. Qu’il n’en soit ainsi pour aucun d’entre nous !

Ainsi, c’est à tout moment que nous sommes appelés à consolider notre communion avec Dieu. Là aussi, en tant qu’Africains, nous pouvons apporter beaucoup à l’Église : car notre culture nous enseigne fondamentalement la référence première à Dieu dans toutes les circonstances de la vie. « L’Africain est foncièrement religieux » nous dit-on. Cette prédisposition culturelle peut nous aider à vivre notre consécration religieuse comme une connexion permanente à Dieu.

Pour gagner le pari de la fidélité, il n’existe aucun autre moyen que celui de la communion constante avec Dieu. A ce sujet, saint Thomas d’Aquin affirme de façon admirable : « … un religieux sans oraison est un soldat sans armes. Quiconque aspire à la perfection doit, sous peine de ne pas avancer, s’adonner fortement et sérieusement à l’oraison ».

Ainsi donc, notre centre de gravité est Dieu et Dieu seul. La vie intérieure doit être l’arme et le carburant de tout notre apostolat. Prétendre exercer un apostolat qui ne serait pas le débordement de la vie intérieure, ce serait comme émettre un chèque sans provision. C’est dire que la relation avec Dieu est fondamentale, et c’est d’ailleurs elle qui rend possible la communion fraternelle. Et c’est le troisième repère que je souhaiterais vous indiquer.

Le troisième point majeur donc, c’est l’engagement pour la vie fraternelle comme véritable expression de notre consécration totale à Dieu. En ce sens, le décret conciliaire Perfectae Caritatis enseigne ceci : « Que ceux qui professent les conseils évangéliques cherchent Dieu et l’aiment avant tout, lui qui nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 10) et qu’en toutes circonstances ils s’appliquent à entretenir la vie cachée en Dieu avec le Christ (cf. Col 3, 3), d’où s’épanche et se fait pressant l’amour du prochain pour le salut du monde et l’édification de l’Église »[5]. La communion avec Dieu est la source et l’origine de la communion fraternelle.

Dans ma récente lettre pastorale, j’insistais sur le « tout à Dieu » comme principe de la vie consacrée. Seul celui qui se fait tout à Dieu peut se faire tout à tous dans l’amour et dans la vérité. Ce qui a permis au peuple d’Israël de rester soudés malgré la persécution et de reconstruire le sanctuaire de Dieu, comme nous l’avons entendu dans la première lecture, c’est la communion avec Dieu. De même, c’est dans la mesure où chacun de vous s’attachera fermement à Dieu que vous pourrez ensemble gagner les batailles d’aujourd’hui et de demain. La communion fraternelle n’est pas seulement un témoignage que l’on attend des consacrés. C’est une condition préalable pour la crédibilité même de notre état de vie.

Cette mission de promouvoir la communion fraternelle comme expression de la consécration, au nom de l’Église, je la confie à vous les membres du Bureau d’Anima Una. En travaillant à resserrer les liens entre vos différents Instituts pour que soit écarté tout esprit de rivalité et de compétition, vous présenterez un visage plus évangélique de l’Église au monde.

Cette même mission, je la confie à vous les Supérieures Majeures et responsables de communauté. En exerçant l’autorité comme un service consistant à prendre soin des autres, vous contribuerez grandement au témoignage attendu de l’Église.

Je confie aussi cette mission à vous tous, membres des différents Instituts. On n’a pas besoin d’être responsable avant de faire rayonner la charité. Dans la discrétion, vos moindres efforts de communion fraternelle et de sainteté sont connus de Dieu qui les utilisera pour l’avancée de son Royaume.

Je confie enfin la même mission à vous tous, fidèles laïcs du Christ, confrères dans le sacerdoce, frères et sœurs dans la vie consacrée : par la prière et le soutien désintéressé, vous pouvez contribuer au rayonnement de la vie consacrée en Afrique pour un témoignage plus pertinent.

Voilà pourquoi je confie chacun de vous à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie. Totalement donnée à Dieu, centre de sa vie, elle demeure pour nous un appui et un modèle. Que son exemple nous stimule et que sa prière nous accompagne toujours ! Afin que nous puissions un jour avec elle, entrer dans la gloire de Celui qui nous appelle à être dès ici-bas « sacrements » de son Royaume : Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient l’honneur et la gloire, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen.


[1] Cf. Africae munus, n°1

[2] Perfectae caritatis, n°1

[3] Cf. 1 Co 3, 11

[4] Stat Crux, dum volvitur Orbis 

[5] Perfectae caritatis n°6